Notre vie contemporaine nous impose parfois des rythmes effrénés entre travail, obligations familiales et responsabilités sociales, ces contraintes laissent souvent peu de marge pour des moments de détente et de ressourcement personnel durant la journée, ainsi, lorsque la soirée arrive, l’envie de profiter d’un moment pour soi se heurte à la nécessité de dormir.
La procrastination du coucher apparaît alors comme une échappatoire qui, à court terme, semble offrir de petites parenthèses de liberté et de bien-être salutaires, mais en retardant régulièrement l’endormissement, un déficit de sommeil s’installe, ce dernier pouvant rapidement nous faire plonger dans un cercle vicieux de fatigue sur le moyen et long terme, et ce, non sans conséquences…
Ce phénomène aussi nommé « revenge bedtime procrastination » en anglais, est un terme qui serait apparu à la fin des années 2010, (initialement en Chine, en conséquence du rythme de travail de 72 heures par semaine), désigne le comportement par lequel une personne repousse volontairement l’heure d’aller se coucher, malgré la conscience des effets négatifs sur sa santé.
Ainsi, le terme « vengeance » présent en anglais, reflète l’idée que, pour certaines personnes, cela semble devenir la seule manière de reprendre le « contrôle » sur un quotidien accablé par des journées interminables et épuisantes. Le choix est fait de se « venger » en prolongeant la soirée pour s’accorder enfin un moment de détente, pour soi, quitte à empiéter sur les précieuses heures de sommeil. L’augmentation du nombre de personnes faisant face à ce problème semble être assez symptomatique de notre société moderne, car en effet, à l’air d’un quotidien marqué par un stress quasi-constant et une certaine hyper-connexion/stimulation, de plus en plus d’individus se retrouvent piégés dans ce cycle de retard nocturne.
Ce comportement, qui semble en apparence anodin, se révèle pourtant être le symptôme d’une vie surchargée, où l’équilibre entre vie professionnelle, obligations personnelles et moments de répit mental et de détente se trouve mis à rude épreuve. Ce phénomène, a fait l’objet de plusieurs études, celle de Floor Kroese, chercheuse en psychologie à l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, a notamment montrée que 84 % des participants déclaraient dormir trop peu et se sentir fatigués au moins une fois par semaine, et plus de 40 % ressentaient cette fatigue trois à quatre jours par semaine, elle a également permis de mettre en évidence une corrélation entre la procrastination classique/générale et la procrastination spécifique au moment du coucher, suggérant que certaines personnes ont plus de difficultés que d’autres à s’autoréguler face aux distractions-tentations d’une manière général et du soir en particulier, notamment les personnes au tempérament impulsif, comme dans le cadre d’un TDAH par exemple.
Floor Kroese explique que retarder l’heure du coucher peut être comparé à la tentation de manger un dessert alors qu’on essaie de perdre du poids : on sait que ce n’est pas bon pour nous, mais on le fait quand même. Les personnes ayant tendance à avoir un faible self-control sont donc elles aussi plus susceptibles de céder aux distractions nocturnes.
En quête d’un instant de plaisir et de liberté
Au fil de la journée, nos capacités d’autorégulation s’épuisent naturellement, c’est pourquoi, même si nous savons pertinemment qu’un sommeil réparateur nous est indispensable, l’effort mental nécessaire pour résister aux distractions et à la recherche de notre petite dose de dopamine (aussi appelée « hormone du plaisir ») se fait souvent sentir le soir. Le cerveau, fatigué, cède alors aux tentations des plaisirs immédiats, comme le défilement sur les réseaux sociaux, les parties de jeux vidéo, le binge-watching d’une série ou tout autres loisirs stimulant notre circuit du plaisir et de la récompense.
Cette baisse de self-control, exacerbée par une journée intense ou trop structurée, incite donc de nombreux individus à repousser l’heure du coucher à la manière d’un acte de rébellion inconscient, une véritable revanche contre le manque de temps libre, une tentative de compensation du stress, de la pression et des contraintes diurne. De plus, de nombreuses études montrent qu’en générale (et en toute logique), les personnes passent beaucoup plus de temps sur leurs téléphones et autres écrans en soirée (puisque plus de temps libre à ce moment), ce qui contribue significativement au retard de l’heure du coucher, car comme nous le savons maintenant, les smartphones, tablettes et autres appareils numériques, (étants devenus pour beaucoup des compagnons indispensables, mais quelque peu envahissants), perturbent grandement le cycle naturel du sommeil, à cause entre autres, de leur lumière bleue qui inhibe la production de mélatonine, ainsi que l’accès constant à des contenus variés et au mécanisme de défilement continue, qui stimulent encore et toujours notre circuit de la récompense et rend d’autant plus difficile le « décrochage ».
Par ailleurs, il a été observé au travers de différentes études que la procrastination du sommeil touche plus particulièrement les étudiants, qui traversent souvent une période de pression accrue que cela soit sur le plan des études, de la vie personnelle et parfois, en plus, professionnelle, ainsi que les femmes, ces dernières étant souvent soumises à une double pression entre vie professionnelle et familiale, et se retrouvant à reporter l’heure du coucher pour tenter de récupérer un peu de temps personnel dans une tentative de venir « rééquilibrer » la balance. Parfois encore, ce phénomène de retard à l’endormissement (ou même dans certains cas, d’insomnie) devient un moyen de différer le stress et l’anxiété de la perceptive d’une nouvelle journée qui s’annonce et où tout recommence inlassablement.
Un cercle vicieux qui renforce ce comportement problématique
Ironiquement, le temps « gagné » en restant éveillé pour profiter de ces plaisirs en tout genre, se transforme rapidement en un déficit de sommeil qui vient augmenter le stress et affaiblit encore davantage les mécanismes d’autorégulation. Ce cercle vicieux peut se mettre en place très rapidement, compliquant grandement la tâche de revenir à des habitudes de sommeil saines d’une part, et pouvant entraîner des répercussions notables sur divers plans d’autre part, comme sur :
- La santé mentale : Stress accru, irritabilité, anxiété, risque de dépression…
- Les fonctions cognitives : Diminution de la concentration, troubles de la mémoire, prise de décision altérée…
- La santé physique : Douleurs chroniques, affaiblissement du système immunitaire, hypertension, maladies cardiovasculaires…
Ce cercle vicieux peut être plus ou moins difficile à rompre, mais il n’est pas une fatalité ! Il existe diverses solutions et stratégies à mettre en place afin de reprendre en main la situation et ainsi retrouver, peu à peu, un rythme de sommeil équilibré :
1. Établir une routine pour le coucher
- Horaires et routines : essayer de se lever, mais surtout, de se coucher à la même heure chaque jour (tant que faire se peut), cela favorisera grandement la régulation du rythme circadien, notre horloge biologique interne qui rythme les phases d’éveil et de sommeil, permettant ainsi de faciliter l’endormissement.
- Petits rituels d’apaisement : se créer des petits moments de détente avant d’aller se coucher permet de signaler à notre corps qu’il est temps de ralentir. Ainsi, des activités comme prendre un bain chaud, lire un livre en buvant une bonne tisane, pratiquer des étirements ou tout autre exercice de relaxation permettront de faire baisser le niveau de cortisol (l’hormone du stress) et donc d’apaiser le corps et l’esprit pour créer une douce transition entre notre phase d’activité diurne et notre phase nocturne d’endormissement.
2. Se créer un environnement propice
- Une chambre adaptée : en effet l’environnement peut avoir une forte incidence sur la qualité de notre sommeil, il sera donc bon de commencer par créer une obscurité totale au moment du coucher (fermer les volets, mettre des rideaux occultants ou encore porter un masque de sommeil sur les yeux), de maintenir la chambre à une température relativement fraiche (entre 16 et 20°C dans l’idéal) car contrairement à ce que l’on peut penser, une chambre chaude entrainera des difficultés de régulations de la température corporelle (le corps ayant besoin de faire un effort pour rabaisser la température interne) menant à retarder l’endormissement ou à susciter des réveil intra-sommeil fréquents qui empêchent d’atteindre les phases de sommeil profond et réparateur.
- Une literie confortable et adaptée : un matelas et des oreillers correctement adaptés à nos besoins spécifiques, surtout vis-à-vis de notre dos et de notre nuque (matelas plus ou moins ferme, à mémoire de forme, oreillers plutôt plats ou au contraire bien rembourrés) et des draps dans des matières naturelles (100 % coton, lin ou soie) contribueront à améliorer la qualité du sommeil globale et à limiter les micro-réveils nocturnes. L’emploi d’une couverture lestée peut également être intéressant, elle permet de stimuler la production de mélatonine (l’hormone du sommeil) et aide à réduire le stress et l’anxiété par la légère pression qu’elle exerce, amenant ainsi au corps un sentiment de sécurité et de bien-être.
3. Limiter (voire supprimer) l’utilisation des écrans
- Les écrans : quels qu’ils soient, émettent une lumière bleue qui vient inhiber fortement la production de mélatonine, et ce que nous regardons sur ces écrans implique toujours une stimulation sensorielle et mentale supplémentaire, plus ou moins importante, et dont l’impact n’est pas à négliger. Ainsi, il est préférable de limiter l’exposition aux écrans a minima une heure avant le coucher, l’idéal étant bien sûr de s’en passer dès le début de la soirée.
- Les filtres : il est bien sûr compliqué, dans notre monde moderne, de ne pas céder à la tentation des écrans, aussi si leur utilisation en soirée est pour nous inévitable, il est primordial d’activer les filtres à lumière bleue. Selon les appareils, cela pourra se faire en activant le mode « nuit » ou « lumière chaude » ou encore grâce à des applications téléchargeables. Il est également possible de trouver dans le commerce des lunettes spécialement conçues pour filtrer ce type de lumière, et il est tout à fait possible d’appliquer ce filtre sur les verres de lunettes correctrices.
4. Gestion du stress et des émotions
- Le journal de bord : à la fin de la journée, il n’est pas rare de se retrouver noyé sous les pensées, ce qui entraîne souvent une phase de rumination mentale lors du coucher, qui est d’ailleurs la plupart du temps, à l’origine de cette fameuse procrastination du sommeil. Il est donc bon de prendre un temps pour écrire (en d’autres termes, pour extérioriser) toutes ses pensées, ses émotions et autres inquiétudes et préoccupations qui nous traversent afin de les mettre à distance et de se « vider l’esprit ». Ainsi, on retrouvera un certain apaisement qui laissera plus de place à l’émergence du sommeil. On peut bien sûr ajouter à nos écrits des aspects positifs tels que les choses pour lesquelles on ressent de la gratitude, les bons moments rencontrés dans la journée, etc., afin d’apporter un peu de nuance et de renforcer une vision plus positive de nos vécus quotidiens.
- Les techniques de relaxation : Il existe beaucoup de techniques de relaxation ayant fait leurs preuves, il vous suffira de trouver celle.s qui vous correspond.ent le mieux, voici quelques exemples :
- La respiration profonde : probablement la technique la plus simple à appliquer, non seulement au moment du coucher, mais aussi à n’importe quel moment de stress, elle permet de faire baisser rapidement le niveau de cortisol, calmant ainsi le corps et l’esprit. On peut trouver différents types de respiration profonde (tels que la cohérence cardiaque, le triangle de respiration, etc.), prenons la cohérence cardiaque pour l’exemple, car au-delà de la simple relaxation, elle permet d’obtenir de nombreux bénéfices (sur les neurotransmetteurs, le système immunitaire, la concentration, et j’en passe). Cette technique va permettre de synchroniser notre rythme cardiaque à notre respiration. Pour cela, on commence par vider complètement nos poumons par une grande expiration, puis on inspirera lentement par le nez pendant 5 sec, puis on expirera profondément par la bouche pendant 5 sec également, on répétera l’opération durant 5 min.
- La méditation de pleine conscience : de plus en plus utilisée dans les TCC, elle permet de revenir dans « l’ici et maintenant », de se reconnecter à son corps et à ses sensations afin d’apaiser le corps et l’esprit. On vient porter son attention sur sa respiration et sur les sensations corporelles, en laissant les pensées apparaître et disparaître, sans s’en saisir, un peu comme si l’on regardait des nuages passer dans le ciel.
- La visualisation : notre cerveau ne fait que très peu de différence entre les images internes et externes, ainsi le but sera ici de fermer les yeux et de visualiser un lieu apaisant, comme une plage tranquille, une belle forêt verdoyante ou un jardin fleuri, par exemple, on essaiera ensuite de visualiser chaque détail de ce paysage ou de cette scène, d’imaginer les sensations (une légère brise, un parfum, le coulis de l’eau, etc.), tous ces éléments venant, petit à petit, nous envelopper d’un sentiment de calme et de bien-être.
- Écouter des musiques douces ou des bruits blancs : l’influence de la musique sur notre corps et notre psyché n’est plus à démontrer. Ainsi, en écoutant, selon vos goûts personnels, des musiques apaisantes (avec des rythmes calmes) telles que du classique ou de la Lo-fi par exemple, ou bien encore des sons de la nature tels que des chants d’oiseaux, le bruit de la pluie, de la mer ou d’un feu crépitant, vous vous détendrez progressivement avec la sensation d’être bercé, jusqu’à glisser tranquillement dans le sommeil.
- Le yoga : l’enchaînement de quelques postures (et respirations associées) permettra de libérer les tensions corporelles afin d’aller se coucher en toute sérénité. Que l’on soit complètement novice ou que l’on ait déjà pratiqué, il existe nombre de vidéos et autres tutos accessibles gratuitement sur YouTube (l’idéal étant bien sûr de prendre quelques cours en présence au début afin de s’assurer que l’on adopte les bonnes postures).
5. Consulter un professionnel si nécessaire
Si malgré vos efforts et ces techniques, des difficultés de sommeil persistent encore ou s’intensifient, il est primordial de ne pas rester seul.e face au problème, car celui-ci peut cacher de potentiels troubles sous-jacents. En effet, la procrastination du sommeil peut aussi être le symptôme de troubles psychiques, émotionnels ou neurologiques, tels que (entre autres) l’anxiété généralisée, la dépression ou le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ; par exemple, ces troubles affectent de nombreux aspects, dont la régulation des émotions, de la motivation (etc.), et impactent aussi souvent grandement le sommeil. Il est donc nécessaire, dans ce cas, de faire appel à un professionnel de santé (médecin traitant, psychologue, psychiatre…) qui pourra ainsi poser un diagnostic précis (ou vous réorienter si nécessaire) et vous proposer des solutions adaptées, recommander des ajustements de mode de vie, voire mettre en place un suivi médical si nécessaire.
En somme, la procrastination du sommeil, quelle qu’en soit l’origine, constitue aujourd’hui un véritable enjeu de santé publique avec des conséquences sur la santé mentale et physique qui ne doivent pas être sous-estimées, mais il ne s’agit pas d’une fatalité. En mettant en place des stratégies adaptées, il est tout à fait possible de reprendre le contrôle de ses nuits et, par extension, de son bien-être global.
Toutefois, il est essentiel de ne pas uniquement voir ce phénomène sous l’angle d’un problème à éradiquer, mais plutôt comme le symptôme d’un déséquilibre à rectifier, car le besoin de détente et de temps personnel est légitime et indispensable à une vie équilibrée, alors plutôt que de le sacrifier ou de le repousser aux heures tardives, il peut être bénéfique de repenser son organisation quotidienne pour s’octroyer des moments de plaisir et de relaxation plus tôt dans la journée en structurant son emploi du temps avec des pauses dédiées, établir des limites claires entre les obligations et les instants de repos et en s’accorder du temps de qualité en journée sont autant de leviers qui permettent de (ré)concilier bien-être et sommeil réparateur.
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