Dans le champ de la psychanalyse, une question reste fondamentale et sans cesse d’actualité, celle de la parentalité toxique et de ses ramifications transgénérationnelles. Cette thématique suscite un intérêt toujours plus grand, tant pour sa complexité psychodynamique que pour ses effets délétères sur la construction de l’individu.
La figure du parent toxique, figure d’attachement de part sa fonction de parentalité, désigne un adulte qui investit la relation parent-enfant selon une perspective dans laquelle les besoins et les blessures psychiques du parent priment sur la reconnaissance authentique de l’enfant en tant que sujet. Ce processus s’inscrit fréquemment dans des scénarios narcissiques où l’enfant sert de « miroir » aux désirs, idéaux déçus ou failles narcissiques de son parent. Ce parent n’envisage son enfant qu’au travers de ce qu’il apporte à son image et à la réparation de son propre narcissisme infantile, primaire, blessé. Ceci se traduit généralement par une instrumentalisation de l’enfant au profit d’une quête de valorisation personnelle (forme de sublimation), ou d’une tentative de combler son manque à être.
Origine de la toxicité et mécanisme de répétition
Les travaux de Freud sur la compulsion de répétition décrivent comment le psychisme humain, lorsqu’il se trouve confronté à un traumatisme non symbolisé, tend à répéter, plutôt qu’à élaborer, cet évènement initial. Ce mécanisme de répétition, qui est une défense de l’enfant devenu adulte, est un point central dans la posture du parent toxique. La violence, l’indifférence, la manipulation ou l’emprise, souvent exercées à l’encontre de l’enfant, constituent une répétition des schémas de vécus infantiles du parent lui-même. Sándor Ferenczi, dans ses analyses sur la transmission du traumatisme, souligne « le pouvoir de contamination » du traumatisme non élaboré. Ce qui n’a pas pu être métabolisé par une génération se rejoue à travers la suivante, parfois sous une forme transformée mais toujours marquée par la même souffrance, par la même blessure narcissique originelle.
Ce n’est donc jamais un processus conscient ou intentionnel, le parent toxique ne naît pas tel, il le devient par la circonstance de son histoire personnelle, souvent empreinte de carences, d’abandons, de dévalorisations ou encore de perversions des liens intergénérationnels. « Les scénarios narcissiques de la parentalité » désignent ainsi la manière dont le parent, en proie à ses propres manques, investit son enfant comme relais narcissique, le privant de la possibilité de construire son autonomie psychique.
Transmission intergénérationnelle et position théorique :
La toxicité parentale s’inscrit dans une logique de transmission transgénérationnelle, étudiée notamment par Winnicott et la théorie de l’attachement. L’enfant, qui est exposé à un parent narcissique, incorpore des modèles relationnels dans lesquels l’amour est conditionné par la conformité à l’idéal parental et où le lien est imprégné d’ambivalence, d’injonctions paradoxales ou de manipulations subtiles. L’incapacité du parent à se décentrer de ses propres besoins empêche toute expérience sécurisante et compromet la constitution d’un « self » authentique, selon l’expression de Winnicott.
« Lorsque le soin maternel est uniquement fonctionnel ou narcissique, l’enfant ne fait que s’ajuster, occulter son véritable self et développer un faux self pour répondre aux attentes parentales » (Winnicott, 1965).
La transmission de cette toxicité n’est pas seulement comportementale, elle concerne aussi l’emprise inconsciente exercée sur le psychisme de l’enfant, le forçant à reproduire, plus tard dans sa propre parentalité, les mêmes mécanismes de maltraitance, de dénégation ou de fusion pernicieuse. L’histoire traumatique du parent fonde des attentes et des interactions qui se perpétuent tant qu’un travail d’élaboration psychique n’est pas entrepris.
Perspective clinique et possibilités de transformation :
La compréhension de ces processus invite par conséquent à penser la relation parent-enfant non en termes de fatalité mais plutôt de répétition et donc de ruptures possibles. L’accompagnement psychothérapeutique, en aidant le sujet devenu adulte à reconnaître son histoire, à identifier les scénarios refoulés, permet l’ouverture d’un espace suffisant pour accueillir la différenciation et sortir de l’automatisme de répétition. Comme le souligne Freud dans « Au-delà du principe de plaisir », c’est « l’acte de remémoration, de répétition et d’élaboration » qui offre la possibilité de transformation pour soi et pour les générations à venir.
Alicia Faucogney
